Un voyage inattendu en Inde
- Sara-Kenza Khanfir
- 26 juil. 2023
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 1 août 2023
De la Désorientation à la Connexion Profonde
Les premiers pas furent difficiles. Très difficiles… J'ai eu l'impression de ne jamais avoir voyagé auparavant. J’étais déstabilisée, bouleversée.
Mais malgré cela, c'était la première fois, en voyage, que je restais plus d'une semaine au même endroit.
Voici un aperçu de mon séjour de 17 jours dans un Ashram au sud de l'Inde, où j'ai l'impression d'avoir vécu dix vies.

Be happy and content with whatever comes to you - Mata Amritanandamayi
Le premier jour, j'ai eu l’impression que c'était la première fois que je voyage, que je découvre une culture différente. J'étais confrontée à un véritable choc culturel, et tous les symptômes qui vont avec : anxiété, confusion, hostilité, perte d’appétit, irritabilité... Je ne me reconnaissais plus. Tout semblait bizarre, et chacun autour de moi paraissait comme des étrangers, me laissant parfois l'impression d'être l'Alien au milieu d'eux.
Des questions vagabondaient dans ma tête : Et si c'était un mauvais choix de venir ici ? Et si j'avais eu des attentes trop élevées sur ce que je devais faire ici, et que cela me faisait me sentir déconnectée ?
Dès le premier jour, j'ai voulu quitter l'Ashram et je cherchais une échappatoire, un moyen de partir ailleurs. Mais partir pour aller où ? Je n'avais aucune idée de ce que je devais faire ou où je devais aller. Ce voyage en Inde était venu à la dernière minute, je n'avais rien organisé, rien regardé à l'avance, j'ai pris mon billet 4 jours avant de venir, probablement la décision la plus spontanée et rapide de ma vie ! Je remettais donc en question l'"intuition" qui m'y avait conduit.
J'étais pourtant persuadée que c'était la bonne chose à faire avant d’arriver, mais mon esprit était maintenant envahi par les regrets, la confusion, et les projections dans le futur. J'imaginais que je manquais un voyage à Bali avec un ami qui y était et cela m’attristait davantage…
Mon corps était là, mais mon esprit errait ailleurs.
"Pas de wifi ici mais tu peux acheter une carte SIM", m'a-t-on dit.
“Où puis-je en obtenir une ?”
"En face du Kali Temple, mais c'est fermé, reviens à 16h."
Impatiente et en colère, j'ai essayé de penser à autre chose et je me suis dit que je devais me promener et explorer les alentours pour me changer les idées.

J'étais épuisée, je suis arrivée à 2 heures du matin après un trajet de 3 heures depuis l'aéroport, j'avais à peine dormi quelques heures avec des fourmis autour du lit et un ventilateur bruyant…
À 16 heures, l'heure d'acheter une carte SIM était enfin arrivée. Pourtant, ce qui aurait dû être une formalité rapide s'est transformé en cauchemar. L'homme responsable de la procédure semblait perdu dans un océan de lenteur administrative. Il prenait une éternité pour remplir les formulaires, d'abord à l'écrit, puis il réécrivait lentement les informations sur son téléphone. Chaque question qu'il me posait semblait absurde : mon adresse (que je n'avais pas), le nom de mon père (vraiment, pour une simple carte SIM ?).
Je me suis retrouvée à attendre pendant plus d'une heure, impatiente et frustrée. Le programme du soir avait déjà commencé, et je risquais de manquer les premières activités de mon premier jour ici. À côté de moi, Gabriel, un Espagnol qui attendait son tour avec sérénité, faisait preuve d'une patience admirable. Ce contraste avec mon impatience était flagrant, me faisant prendre conscience de mes propres réactions.
Je me suis alors efforcée de me calmer, de respirer profondément et d'accepter que certaines choses échappent à mon contrôle. Pourtant, malgré cet effort, une petite voix dans ma tête continuait à murmurer que cet endroit n'était peut-être pas fait pour moi.
Finalement, après plus d'une heure interminable, j'ai enfin récupéré ma carte SIM et je me suis précipitée pour rejoindre la méditation en cours. Cette expérience avait été un test pour ma patience et ma capacité à lâcher prise, mais je savais que la véritable aventure ne faisait que commencer.
Après les Bhanjans (chant dévotionnel de l'hindouisme) et la méditation, c'était l'heure du dîner. Mais avant de pouvoir manger, il fallait que je trouve une cuillère, hors de question de manger du riz avec mes mains. La première bouchée, je ne l'oublierai jamais, j'ai eu les larmes aux yeux tellement c'était épicé. Une autre raison de fuir cet endroit, pensais-je alors.

Sur le tableau des activités, j'ai vu qu'il y avait un cours de danse indienne. J'étais si excitée ! Enfin quelque chose qui m'intéressait et qui pouvait être sympa et spécial à faire ici. Ma joie s'est toutefois envolée en découvrant que le cours avait lieu une fois par semaine, les samedis (et on était dimanche, donc le cours aura lieux dans six jours). Hors de question de rester ici jusqu'à cette date je me suis dis. C'est décidé, cet endroit n'est pas fait pour moi. Je peux trouver des cours de danse ailleurs en Inde.
Une vague de jugement s'est emparée de mon esprit, critiquant tout ce que je rencontrais. Je me sentais submergée par cette confusion intérieure et une tristesse s'installait peu à peu en moi. L'envie de partir me démangeait, et je me suis mise à chercher activement une alternative à cet endroit. J'étais convaincue qu'il devait exister d'autres lieux agréables proposant des cours de surf, de danse, de yoga... Mais après de longues recherches, le sort semblait s'acharner sur moi, car la saison de mousson avait tout fermé !
La déception s’empare de moi à en pleurer. Après deux retraites de méditations, mes apprentissages sur la patience sont loin d'être mis en application à ce moment-là.
Cependant, après trois jours, j'ai décidé de me lancer un défi : résister, laisser une chance à cet endroit et rester pendant 10 jours, du 9 juillet au 19 juillet. Je vais suivre le programme avec les séances de méditation de chants tous les soirs, le service désintéressé pour aider dans la vie de la communauté, la contemplation, l'observation, et bien évidemment, l'écriture. Mais même en m'engageant à rester, l'idée de mon départ continuait de tourner dans ma tête. Je passais des heures sur mon téléphone à scruter les activités, les retraites, les auberges, les villes que je pourrais explorer aux alentours.
Au bout de quatre jours, la partie sociable de moi-même refit surface. Je commençais à m'intéresser aux autres, particulièrement aux autres Occidentaux (il y en avait tellement, bien plus que je ne l'avais imaginé, venus de partout d'Europe mais aussi du Chili, d'Argentine, des États-Unis, du Liban...). Je me suis mise à leur demander ce qui les avait amenés ici, à partager leurs histoires, à comprendre leurs croyances.
J'ai également pris le temps d’échanger avec les locaux, de les observer dans leurs habitudes quotidiennes, de les contempler pendant leurs rituels et prières. Les rituels religieux et spirituels m'ont toujours fascinée, mais je n'avais jamais eu l'occasion de plonger si profondément dans l'univers mystique de l'hindouisme, et c'était une expérience fascinante que je vivais avec des yeux d'enfant.

Quant à la nourriture, même si un restaurant occidental était disponible, j'ai souvent opté pour la cantine indienne. J'ai trouvé très amusant de voir leur réaction lorsque je leur demandais si c'était épicé. Leurs réponses hésitantes, ponctuées de débats entre eux, me faisaient sourire. Leur expression "un tout petit peu épicé" prenait une dimension comique, car j'en étais venue à m'habituer à cette subtile dose de piment qui faisait briller mes yeux !
Ces nouvelles interactions avec les autres et les locaux, la découverte de l'hindouisme, les rires autour de la nourriture épicée, tout cela contribuait à transformer mon expérience et à faire naître un sentiment de connexion. Peu à peu, je me sentais moins étrangère à cet endroit, et mon cœur s'ouvrait à de nouvelles possibilités. La suite de mon séjour s'annonçait prometteuse, comme si j'avais enfin trouvé le chemin vers une aventure riche de sens et de découvertes.
Gabriel, qui est devenu un ami, m'a offert un collier mala avec 108 perles pour réciter les mantras. Je n'avais pas de mantra à ce moment là, mais je trouvais le mala très beau et le porter me rapprochait des coutumes locales.
We should serve others without any expectations whatsoever. When others throw thorns at us we should be able to throw flowers back at them - Mata Amritanandamayi
Au son des corbeaux, je me suis retrouvée au milieu de femmes indiennes en train de préparer les Prasades (offrandes). Leurs mouvements étaient rythmés et synchronisés. J'observais cette scène et je ne pouvais m'empêcher de vouloir les rejoindre. Nous échangions de petits sourires complices, et leur joie lorsqu'elles souriaient illuminait leur visage. J'étais fascinée par la pointe sur leur front, le Bindi, qui m'hypnotisait à chaque fois que mon regard s'y posait.
Au sein de cet ashram, j'ai découvert le véritable sens du travail et du service désintéressé. Contrairement aux bénévolats auxquels j'avais participé par le passé, ici, il n'était pas question de travailler en échange de logement ou de nourriture. C'était un service pur, sans récompense matérielle attendue en retour. Les tâches étaient souvent répétitives, avec un emploi du temps bien établi : couper les légumes et les fruits à 6 heures, trier les bacs de recyclage à 9 heures, préparer les Prasades à 10 heures, servir le repas à 12 heures, préparer la grande salle à 14 heures, couper des légumes pour le dîner à 15 heures, et probablement bien d'autres tâches qui se déroulaient simultanément dans cette immense ruche d'abeilles, comme l'avait si bien décrit un ami rencontré ici. Ces abeilles, c'était nous, travaillant en harmonie avec le cœur, pour les autres, sans compter le temps passé.
J'ai découvert la véritable dévotion ici, celle qui consiste à être pleinement dévoué à son travail, à servir les autres en faisant les choses bien, sans rien attendre en retour. C'était un engagement envers quelque chose de plus grand que soi, une sorte de communion avec une énergie collective.
Un soir, au septième jour de mon séjour, j'ai eu la chance de rencontrer Flo, qui venait tout juste d'arriver à l'ashram. Dès notre premier échange, j'ai eu l'impression de le connaître depuis toujours. Nous avons rapidement formé un trio avec Mahech, un autre ami rencontré ici, et je nous ai surnommé "les enfants turbulents de l'ashram". Nous avons vécu des moments inoubliables de partage, d'authenticité et de fraternité. Courir dans les escaliers comme des enfants, rire aux éclats, improviser des chansons et danser sur la plage : ces instants étaient magiques et ont créé entre nous une connexion inexplicable. Ils sont devenus mes piliers dans cette aventure magique!
Les rencontres enrichissantes n'ont pas cessé de se multiplier. J'ai fait la connaissance de Fran, du Chili, et d'Aviva, de Suisse, deux psychologues passionnées avec qui j'ai échangé sur la psychologie et différentes approches. Leurs réflexions m'ont redonné envie de plonger dans les livres de sciences humaines et de continuer à approfondir ma compréhension du monde.
Chaque jour apportait son lot de rencontres et de connexions, fluidifiant mon séjour et m'aidant à m'intégrer pleinement à cet endroit qui avait d'abord semblé si étranger. J'ai finalement commencé à me sentir chez moi, à trouver ma place dans cette communauté! ( ce qui m’a inspiré l’article de la semaine dernière sur le pouvoir de la communauté que tu peux lire juste ici )

Au cours de cette expérience, j'ai également eu l'occasion de participer à un rituel hindou, l’Arati, habillée en sari, la robe traditionnelle. Les indiennes m'abordaient dans leur langue, pensant que j'étais l'une d'entre elles. Ce rituel a été un moment puissant et magique, où les musiques enchanteresses et les échanges avec les autres ont créé une atmosphère d'unité et de partage.

Au fil des jours, je prolongeais mon séjour en demandant régulièrement une extension. Chaque fois que je disais que je partais, tout le monde semblait amusé parce que je finissais à chaque fois par rester plus longtemps. Même mon ( vrai ) dernier jour, beaucoup refusaient de me croire, ce qui suscitait des sourires amicaux et complices.

Quand je suis arrivée ici, l'idée de repartir m'envahissait. Au deuxième jour, submergée par toutes les tensions et les défis, je pleurais. Mais au bout des dix jours passés ici, cette envie de partir s'est transformée. J'ai ressenti le désir de rester le plus longtemps possible, d'explorer encore plus profondément cette communauté qui m'a si chaleureusement accueillie.
Aujourd'hui, en écrivant ces mots, je suis remplie d'émotions et de nostalgie. J'ai la sensation d'avoir quitté une famille qui m'a offert tant de soutien et d’apprentissages. L'Aum Namah Shivaya résonne encore dans mon cœur, et je sais que ces moments vécus resteront gravés à jamais dans mon âme.
A très bientôt Amritapuri!
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